Innovation frugale en pays Dogon: traiter ses semences
pour une récolte réussie

Jerome Bossuet, ICRISAT

Fin février 2015 - C’est l’effervescence dans la ville de Koro, près de la Venise Malienne de Mopti, qui accueille la quatrième édition du festival Ginna Dogon, une fête traditionnelle qui se tient tous les 3 ans pour préserver l’héritage culturel du peuple des falaises de Bandagiara. Une grande partie des Dogons se presse dans les rues de Koro pendant 4 journées rythmées par des contes et danses, courses de chevaux, concours de lutte et débats.

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Amadou Togo explique à une femme comment marche Apron Star ©Samuel Guindo / ICRISAT

Le chef de famille Amadou Togo a fait le voyage de 40 km de son village Tendely, situé entre Mopti et Koro avec dans ses poches des petits sachets de poudre. C’est l’occasion de “palabrer” avec des paysans d’autres villages et de leur parler d’une simple innovation qui a permis à lui et aux autres paysans membres de l’union de coopératives Amakéné, de bien meilleures récoltes qu’à l’accoutumée. Il s’agit de traiter ses semences de sorgho et mil avec Apron Star®, un traitement fongicide et insecticide qui protège les semis jusqu’à 40 jours.

Investir 2€ par hectare pour une augmentation de rendement de 50%

S’assurer une récolte suffisante de sorgho et mil pour sa famille est une affaire périlleuse pour un paysan du Sahel comme Amadou, et la clé de la réussite réside souvent dans un semis réussi. Semer au bon moment, au début des pluies en avril ou mai, est capital. Ce qui explique le rituel de la fête des semis (“bulu”) avec les offrandes de mil dans les champs du chef (“hogon”) et sacrifices sur l’autel des aieux.

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Mais pour que la graine germe et que la fragile plantule ne devienne plante, de nombreux obstacles sont à franchir. Entre les attaques d’oiseaux ou d’insectes, la chaleur excessive et les épisodes de sécheresse, les nématodes ou les maladies fongiques comme le mildiou (Sclerospora graminicola)ou la pourriture des racines (i.e. Pythium spp)les semis fondent souvent comme neige au soleil.

La solution préconisée par Amadou: le traitement de semences. Une pratique répandue en Europe mais peu utilisée en Afrique car non disponible, et pas au packaging approprié. Depuis des années, l’entreprise Syngenta via sa fondation a tenté l’expérience de commercialiser en petits sachets un produit de traitement des semences, Apron Star ® pour répondre aux besoins de la petite agriculture en Afrique de l’Ouest.

Apron star ® est un mélange de produits insecticide et fongicide. Il protège la plantule de semence traitée pendant 40 jours. Il a un effet répulsif pour les oiseaux et les animaux, mais ne les tue pas. Très efficace contre le mildiou du mil, ce traitement accélère aussi la croissance des jeunes plants. Les semences peuvent rester intactes dans le sol jusqu'à 20 jours après le semis, même en cas d’humidité excessive.

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Une application simple - Apron Star® est un produit en poudre conditionné dans des sachets de 10g, qui permet de traiter 4kg de semences de mil ou sorgho (pour semer environ un hectare). On mélange les 4 kg de semences, 5ml d’eau pour créer une petite humidité et le sachet d’apron star, dans un sac plastique non troué. La petite quantité d’eau facile l’adhésion du produit aux graines. Les graines sont prêtes pour un semis immédiat.Ce traitement marche aussi pour les légumineuses comme les arachides.

L’impact de cette simple pratique sur la ferme d’Amadou sont édifiants. “Grâce à ce traitement, j’ai pu récolter une tonne de mil sur un hectare, malgré un semis tardif du fait d’un manque de pluie, alors que j’en récolte d’habitude 600kg. La production d’arachide a doublé aussi”, explique Amadou.

Impact du traitement des semences Apron Star: Moins de mildiou, plus de récolte

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Source: Leslie, 2000

Plusieurs essais au champ en 1998-99 au Mali avaient montré que ce traitement permet une augmentation du rendement de 50% alors que l’investissement est modique (environ 2 euros par hectare), avec un retour sur investissement d’au moins 5:1 . Ces résultats ont été confirmés l’an dernier par ICRISAT et plusieurs coopératives partenaires au Mali.

En 5-6 ans, à la fin des années 90, plus de trois tonnes d’Apron Star avaient été vendues au Mali, soit environ 50000 sachets par an, ou 50000 hectares semés avec des semences traitées.

En 2014, les coopératives paysannes suivies par ICRISAT au Mali ont vendu 3300 sachets de ce produit, malgré un approvisionnement en retard. Les bonnes récoltes encouragent les coopératives à poursuivre cette diffusion. [et d’après l’importateur, les coopératives sont des partenaires plus fiables que les vendeurs privés d’agrofournitures]. 

Vendre peu à beaucoup de paysans, le défi du marketing de masse

La chaine d’approvisionnement des sachets d’Apron star a malheureusement été rompue pendant plusieurs années depuis l’instabilité politique en Côte d’Ivoire [l’usine d’ensachage Syngenta se trouve à Abidjan] et ce produit de traitement des semences est devenu introuvable pendant des années. La vente reprend doucement mais les connaissances au niveau local ont été perdues et tout doit être repris à zéro: experimentation, parcelles de demonstration, tester differents canaux de distribution,…. Vendre via les coopératives comme Amakéné semble une strategie payante mais qui demande du temps.

Comme toute innovation agricole s’adressant aux millions de petits paysans Sahéliens, trouver le bon modèle économique pour une large adoption profitable et durable est un vrai casse tête. Faut-il regarder le modèle Jugaad(ou économie frugale) qui appelle à faire plus avec moins de ressources? Ou le modèle BoP [commercialisation auprès de la Base de la pyramide par des grandes entreprises]?

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Small is beautiful… Comme pour l’exemple d’Apron star ®, le microdosage d’engrais ou une nouvelle variété de semence,  une stratégie payante est de dimensionner le packaging aux besoins d’un hectare (ou “one acre”), mais aussi adapter son réseau de vente / approvisionnement aux besoins spécifiques de la petite agriculture du Sahel, tout en préservant une marge intéressante pour l’entreprise.

Cependant, seules les grandes entreprises comme Syngenta ont la capacité d’investir dans la duree pour des opérations de marketing de masse.  Et encore, il faut investir beaucoup avant que l’opération ne soit rentable. Les petites marges, la complexité du marché de la petite agriculture avec ses contraintes logistiques n’encouragent pas le secteur privé.

Selon le rapport de l’OCDE “l’économie familiale et l’innovation agricole en Afrique de l’Ouest, vers de nouveaux partenariats”, le transfert d’innovations pour des productions dites à faible valeur ajoutée (comme les céréales de base comme le mil ou le sorgho) se ferait plus facilement si  différents acteurs du privé, du public et de la société civile, le long de la filière sont impliqués.

Cela passe par exemple par une professionnalisation des coopératives paysannes comme Amakéné; que chercheurs et ONGs travaillent avec eux pour tester différentes solutions de microfinance; que les bailleurs soutiennent des initiatives du privé pour adapter leur réseau de vente aux besoins de paysans comme Amadou.

Il s’agit de décompartimenter l’aide au développement, le monde de la recherche, politiques et entrepreneuriat. Ceux et celles qui peuvent créer des passerelles  pourront faire rapidement une différence sur le terrain.

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